Des jalousies, des contacts différents, des ruses de l’ennemi ont souvent divisé les chefs indigènes. Il fallait une situation difficile pour eux tous pour qu’ils comprennent l’importance de s’allier.
En octobre 1802, … la frégate la “Cocarde” chargée d’hommes de couleur arrêtés pour avoir protesté contre le rétablissement de l’esclavage à la Guadeloupe venait de mouiller dans la rade du Cap et apportait la loi qui rétablissait la servitude dans les colonies. La mesure ne concernait pas St Domingue qui devait être régi par un code spécial … Quelques uns des déportés de la Guadeloupe eurent le bonheur d’atteindre le rivage à la nage. Ils firent aux indigènes le récit des atrocités commises dans les îles du Vent et remplirent les cœurs d’indignation. On apprit aussi que des noirs et mulâtres avaient été vendus publiquement par le général Kerverseau dans l’ancienne partie espagnole où Toussaint, au nom de la France, avait proclamé la liberté générale. Ces événements vainquirent toutes les hésitations de Pétion qui leva alors l’étendard de la révolte. Il communiqua son projet au général Clerveaux et lui dit qu’aucune considération ne pouvait l’empêcher de s’insurger. Il ajouta que « s’ils demeuraient l’un et l’autre plus longtemps fidèles à la France, c’en était fait d’eux… et qu’il n’y avait plus à hésiter”. … Clervaux lui répondit … « que la France était puissante, que la mer lui était ouverte, que l’Angleterre ne lui déclarerait peut-être pas la guerre de si tôt, que l’on n’avait pas désarmé les troupes coloniales et qu’il était important de laisser se dessiner davantage les événements ». Pétion lui fit connaître les révélations de Dessalines et lui annonça que les 6e, 10e et 13e allaient être dispersés dans les troupes européennes pour être ensuite exterminées. “Ils n’oseront pas” dit Clervaux… qui partit pour le Cap.
Dans la nuit du 12 octobre, les salles du palais du Cap étaient illuminées… une musique harmonieuse retentissait dans des appartements resplendissants de luxe. ..Madame Leclerc… couverte de pierreries … s’approcha du général Clervaux et lui dit: – D’où vient, général, que vous soyez si sombre? « Nous fêtons le Bonheur qui règne en France et qui ne tardera pas à régner sur la colonie ». – « Madame, lui répondit-il : – j’étais libre autrefois; je ne dois aux circonstances nouvelles que d’avoir à relever ma couleur avilie; si je croyais qu’il fut jamais question ici d’esclavage, à l’instant même, je me ferais brigand” … A la pointe du jour, Clervaux partit pour le Haut du Cap, … pour aller, disait-il, chercher sa femme et la ramener en ville. Il avait appris pendant le bal bien plus que ce que Dessalines avait dévoilé à Pétion. Leclerc … fit aussitôt entrer au Cap la 6e coloniale forte de 1.200 hommes ainsi que le chef de bataillon Jacques Clervaux qui commandait le poste du Haut du Cap. Les soldats noirs et de couleur se préoccupaient beaucoup de ce que l’on voulait faire de ce corps car l’ordre avait été donné de faire rentrer les troupes européennes dans les villes et de laisser les troupes coloniales dans l’intérieur… Alors que Pétion parcourait les bivouacs de la 13e, calmait les inquiétudes des soldats, leur promettait qu’il ne les abandonnerait pas tout en les incitant à l’insurrection, la 13e prit les armes et demanda sa paie arriérée et des rations qu’elle n’avait pas reçues pendants les quinze jours qu’elle était restée cernée au Dondon par des bandes insurgées. … Les soldats ne trouvant pas leur compte,… s’agitèrent.. Le tumulte à son comble, Clausel et Claparède appelèrent Pétion pour lui demander la cause du mouvement. Pendant qu’il se rendait auprès d’eux, Geffrard ancien colonel de l’armée de Rigaud qui était au Cap en inactivité, se déguisa en matelot, arriva au quartier de la 13e et déclara aux anciens compagnons d’armes que la 6e coloniale avait été embarquée pour être noyée, que beaucoup d’hommes de couleur et de noirs avaient été mis aux arrêts et qu’il s’était sauvé pour éviter la mort. On venait de noyer Dommage, noir, ancien colonel de la 4e, avec presque toute sa famille… Le général Paul Louverture, frère de Toussaint, dès qu’il apprit la nouvelle, sortit du Cap, déguisé, et se rendit auprès de Sans-souci dont il avait reconnu l’autorité. … Clervaux et Pétion, eux, envoyèrent deux courriers l’un à Christophe et l’autre à Capois, pour leur faire part de leur projet d’insurrection. Capois, déjà soulevé contre la Métropole, ne pouvait que les soutenir. .. Le 14 octobre, dans la nuit, … Pétion réveilla en silence les soldats de la 10e et de la 13e, leur fit prendre les armes, et marcha avec eux sur trois faibles postes qu’occupaient cent hommes des troupes blanches. Ces troupes cernées par 1.900 hommes n’opposèrent aucune résistance.
Leclerc, aussitôt qu’il apprit cette révolte, fit battre la générale. Tous les citoyens français en état de combattre prirent les armes. A la tête de 800 hommes de sa garde, Leclerc se transporta au Haut du Cap et y rencontra les prisonniers blancs que Pétion lui avait envoyés. Ils étaient presque nus. Ils apprirent à Leclerc que les troupes insurgées s’étaient retranchés au morne Rouge. .. Leclerc envoya alors auprès de Christophe, cantonné à St Michel avec les 1ère, 2e et 5e brigades coloniales, le colonel européen Boyé qui lui remit l’ordre de marcher contre les brigands Clervaux et Pétion. Christophe reçut avec politesse l’envoyé français. Il ne répondit pas au général Leclerc et retint pas le colonel.
Dans la journée du 14 octobre, Pétion abandonna le morne Rouge et se rendit avec les 10e et 13e sur l’habitation d’Héricourt, avec l’intention de s’acheminer vers l’Ouest … pour combattre les Blancs s’il ne pouvait s’entendre avec les chefs de bande du Nord. … Tout à coup, Petit Noel Prieur envahit Héricourt avec ses bandes qui hurlaient et se préparaient au combat. … “Qu’êtes-vous venu chercher ici” demanda-t-il à Pétion. Celui-ci répondit ” Nous avons abandonné la cause des Français et nous devons vous demander des renforts” … Après de longues délibérations, il accueillit la proposition de Pétion, partit avec lui pour le Haut du Cap où les indigènes arrivèrent le 15 octobre, vers cinq heures du matin. Le même jour, Christophe envoya au Cap un officier qui annonça au capitaine-général Leclerc qu’il se disposait à marcher contre Pétion, Clervaux, Petit Noel Prieur, dont il se débarrasserait en peu de temps.
Toutefois, pendant le combat du 16 octobre, Christophe démarra dans l’inaction à St Michel. Dans la nuit du 16 au 17 octobre, il fit amener devant lui le colonel Boyé et lui dit “Je vous envoie à votre général. Dites lui… que je méprise les millions et les honneurs qu’il m’offre pour soutenir la cause de mes frères”. .. Le 18 octobre, à la pointe du jour, Christophe arriva au Haut du Cap avec les 1e, 2e et 5e coloniales, fit arracher à ses drapeaux les armes françaises. …Clervaux réorganisa la 5e avec les cultivateurs, la plupart de Marmelade… Pétion eut sous ses ordres les 10e et 13. Geffrard demeura sans commandement. Christophe se tint toujours à la tête des 1e, 2e et 5e. Clerveaux, comme le plus ancien officier supérieur, prit le commandement de toutes les troupes. Ils cernèrent tous le Cap, presque de tous les côtés. De toutes parts, les Français n’apprenaient que défection. Leclerc se vit obliger pour chasser les troupes insurgées, d’ordonner l’évacuation des Français à Port-de Paix, au Borgne et à Fort Liberté et d’aller grossir la garnison du Cap, la capitale d’alors, non encore vaincue.
Quels chefs militaires indigènes donnèrent le signal de la révolte et des informations sur le danger les menaçant? Quels furent les premiers chefs à se rallier? Qu’est ce qui les porta à rejeter la France?